18 octobre 2017

Erta Ale: ça y est, le champ de lave entre dans la plaine !

C'est une course qui a débuté en mai dernier, et dont l'issue était incertaine car les paramètres qui contrôlent la progression d'un champ de lave et qui lui permettent de parcourir de longues distances sont nombreux. Mais cette fois ça y est: le champ de lave en formation sur l'Erta Ale est entré, le 16 octobre, dans la plaine sédimentaire située au pied de son versant nord-est, à plus de 16 km de son point de départ!
Et c'est un événement historique car cette plaine sédimentaire est extrêmement rarement touchée par les coulées de lave qui descendent du sommet de l'Erta Ale. Et lorsqu'on regarde les images satellites, on voit même immédiatement qu'en réalité, ce n'est probablement plus arrivé depuis plusieurs milliers d'années, les seules coulées de lave visible en contact avec la plaine étant anciennes, érodées.

La zone frontale du champ de lave de l'Erta Ale, divisé en trois petits lobes, vue en couleur naturelles (haut) et infrarouges (bas). Deux ont atteint la plaine de sédiments le 16 octobre, un événement historique, jamais observé pour l'heure sur ce massif. Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus
 
Les conditions pour qu'un tel événement se produisent sont multiples. 

1- Il faut d'abords qu'une activité effusive soit alimentée de façon permanente, et avec un débit suffisant. Avec un débit trop faible, les coulées de lave se refroidissent plus vite et leur front cesse d'avancer. Ils sont alors un obstacle supplémentaire que la lave doit éviter. Généralement, avec un débit trop faible, les coulées de lave forment des éventails (de petites coulées les unes à côté des autres, et en parties les unes par-dessus les autres). Un exemple récent de cette situation pourrait être celui de la dernière éruption du Piton de la Fournaise, en août dernier. Mais pour Erta Ale, l'effusion est bien abondante, et le débit assez fort.

2- Toutefois ce n'est pas suffisant car la topographie joue un rôle essentiel dans la distance que peut parcourir un champ de lave. Et là il faut dire que la situation était aussi plutôt favorable sur une bonne partie du parcours. Les versants de l'Erta Ale sont constitués de coulées de lave plus anciennes, à surface lisse (type pahoehoe) ou plus rugueuse (type a'a). Recouvrir une surface lisse est déjà relativement simple en soit puisque l'énergie mécanique de la lave qui avance est moins absorbée par les frottements (moins de surface de contact). Mais surtout les différents champs de lave anciens ont des bordures marquées, hautes parfois de plusieurs mètres, qui ont favorisé, lors des pluies, le creusement de chenaux d'érosion, la formation de lits de rivières temporaires assez étroits. Et pour le coup, la masse de lave en fusion qui descend du sommet de l'Erta Ale a, en entrant dans ces chenaux étroit, vu sa vitesse d'écoulement augmenter. Enfin, il va de soit que la pente joue un rôle dans cette histoire de topographie: plus faible, la lave ralenti et le champ de lave s'élargit plutôt qu'il ne s'allonge. Plus forte, la lave accélère et le champ de lave s'allonge plutôt qu'il ne s'élargit. Vous verrez sur l'image satellite que la partie frontale du champ de lave, à proximité de la plaine sédimentaire, s'est ainsi fortement élargit, la lave stagnant à un endroit où la pente est quasi-inexistante.

3- la formation de tunnels de lave est aussi un avantage majeur. Au cours de sa progression la surface du champ de lave, en amont de son front, se fige en se refroidissant en contact avec l'air ambiant. La carapace solide qui se forme alors protège l'écoulement situé en dessous, coupe littéralement le contact avec l'air ambiant: la masse de lave garde donc sa chaleur, donc reste en fusion plus longtemps, donc peu s'écouler plus loin. On voit bien sur la dernière image satellite la présence d'ouvertures dans cette carapace (les "skylights"), qui permettent de constater que la lave est toujours à très haute température sous la carapace.


La situation le 16 octobre: seul le champ de lave nord-est est encore actif. Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus

Enfin on peut noter sur l'image ci-dessus, qui montre la situation dans sa globalité, que le champ de lave sud-ouest n'est maintenant plus alimenté, ou extrêmement peu, confirmant la tendance engagée il y a déjà quelques mois. Le lac de lave (ou pour être plus juste : ce que je suppose être un lac de lave) sur la Rift-Zone est toujours bien présent et reste la source des coulées de lave.
Au sommet, le lac de lave reste présent, même si son activité peut varier. Son niveau est semble plutôt stable en moyenne.


On peut remercier les ingénieurs qui ont conçu les satellites, outils fantastiques, qui ont permis de suivre cette progression là où aucune observation directe n'a pu être possible, en raison des tensions géopolitiques locales.

Sources: SENTINEL2-ESA/Copernicus; Instagram

3 commentaires:

  1. Bonjour, je nuance juste votre conclusion, ce qui empêche quiconque d'observer le phénomène c'est avant toute chose les difficultés naturelles sur le terrain. J'y étais au début du mois et pour en avoir parlé avec quelques spécialistes sur place, il est extrêmement difficile d'approcher le nouveau lac, autant que les coulées. Il fait si chaud en journée qu'il faut se déplacer de nuit. Sur un terrain inconnu et instable fraîchement recouvert d'une lave cassante et coupante comme du verre, avec des températures qui ne descendent pas assez sous ces coulées pour envisager sereinement de les traverser, la tâche semble relever de l'exploit.
    Plus compliqué encore, la frilosité des policiers et militaires à accompagner les spécialistes sur un terrain qui ne les rassure guère. L'escorte est en effet obligatoire, et forcément les hommes en arme ne sont pas très enthousiastes à l'idée de passer des nuits entières dans un champ de lave.
    A ma connaissance l'équipe de SphereTravel accompagnée de Guy de St Cyr, celle de SunTravelEthiopia, ainsi que celle de Geoff Mackley ont déjà tenté de s'approcher entre le mois dernier et aujourd'hui, mais aucune n'est parvenue à se frayer un chemin dans les laves encore chaudes et cassantes.

    Cordialement

    Cédric Normand

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    1. Bonjour Mr Normand.
      J'ai eu connaissance il y a quelques temps des difficultés dont vous parlez, et bien que je n'y ais pas pris directement pars, je peux me les représenter ayant été en Éthiopie, et ayant traversé des champs de lave fraîche :). Mais on ne s'est pas compris (par ma faute): je parlais là de la progression du champ de lave nord-est (sujet du post) impossible à suivre complètement depuis le sol. Je sais que l'accès à l'activité au niveau du lac de lave de la Rift-Zone est difficile, et que plusieurs tentatives ont eu lieu. Une d'entre elles cet été a permis d'atteindre le champ de lave sud-ouest mais trop tard, car il était déjà en régression. Par contre, aucune possibilité d'accès au champ de lave nord-est. Pas la peine d'y songer depuis le camp de base c'est sûr, d'abords pour les raisons que vous évoquez déjà, mais impossible par la plaine à l'est, à cause des tensions géopolitiques en premier lieu. Mais qui sait: peut-être que des permis seront délivrés pour aller voir ce qu'il se passe maintenant que le champ est arrivé dans cette plaine?
      Bonne journée, et merci :)
      CV

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  2. Bonjour,

    Pourquoi ces agences de voyage ou scientifiques si riche ne se cotisent pas pour survoler la zone en ULM ou hélicoptère comme à Hawaï ou en Islande ? trop proche de l Erythrée ? pas de zone pour atterrir ?

    Grosse perte de chiffre d'affaire pour les agences de voyage et les chefs locaux en tout cas.

    La route chinoise toute neuve est t' elle menacée par la coulée ou ce n'est pas la même direction ?

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